Paris, le 23 juillet 2007 à lattention de Monsieur Peter Mandelson Commissaire européen au commerce Rue de la Loi, 200 B-1049 Bruxelles
Monsieur le Commissaire,
Vous vous opposez à toute intervention politique dans le champ de léconomie. Le protectionnisme est selon vous lennemi de la concurrence libre et non faussée.
Nous estimons que vous faites un contresens grave aux conséquences dramatiques pour lavenir de léconomie européenne. La Commission européenne nous semble le dernier bastion du monde développé où lon croit encore sincèrement à cette vision angélique de la concurrence « libre », terrain de jeu où labsence de barrière permet de faire émerger les meilleurs. Cette vision est théorique car dans la vraie vie, la concurrence non encadrée nest pas la loi du meilleur mais celle du plus fort.
Lécrasante majorité des êtres humains sont des pragmatiques, cest-à-dire quils ne sont prêts à acheter quà des entreprises déjà leaders sur leur marché. Cest la nature de loffreur qui passe avant la qualité de loffre. Doù un cercle vicieux par lequel les plus forts gagnent parce quils sont les plus forts. Ils deviennent donc toujours plus forts et le tissu se polarise, avec dun côté des leaders et de lautre des entreprises toujours plus faibles et des nouvelles entreprises qui ne parviennent pas à sintégrer. Numéro un sinon rien, cest ainsi que fonctionne la concurrence libre. Citons Lacordaire : « entre le fort et le faible, cest la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ». La concurrence ne peut être durable quen étant doublement encadrée, par le bas et par le haut. Lintégration de sang neuf dans notre économie passe par une protection des nouveaux entrants. Les américains la pratiquent depuis plus de 50 ans. Et aujourdhui, leurs nouvelles entreprises génèrent sept fois plus de nouveaux leaders mondiaux que les entreprises européennes. Nous vous recommandons la lecture de larticle fondateur du Small Business Act américain : la concurrence est le principe même de léconomie américaine ; elle ne peut fonctionner quavec des nouveaux entrants, qui ne peuvent entrer que sils sont protégés. La définition américaine de la PME reflète cette vision : est PME toute entreprise qui nest pas encore leader sur son marché. Ce sont ces entreprises quil faut protéger, intelligemment bien sûr, en attisant la concurrence entre elles mais en rééquilibrant les conditions dans lesquelles elles ont à se battre avec les entreprises déjà établies.
Il faut également agir par le haut : les leaders nationaux ne sont pas encore des leaders mondiaux. La mondialisation implique un changement de périmètre du terrain de jeu qui a un impact radical : les plus fortes entreprises mondiales raflent la mise globale. Il ne faut pas sétonner que les Etats-Unis, forts de leur leadership économique existant, soient de fervents partisans du libre-échange. Il est donc crucial de rééquilibrer le terrain de jeu en suscitant des leaders européens au moins aussi forts que leurs homologues américains. Cest la seule façon pour eux de lutter à armes égales sur les marchés mondiaux. Permettre le rapprochement entre Legrand et Schneider, ce naurait pas été du pratiotisme mal placé. Cela aurait simplement signifé avoir les yeux ouverts et pratiquer une pragmatisme basé sur une compréhension du véritable fonctionnement de la concurrence. Sans cela, lissue est aussi simple que certaine : la disparition de léconomie européenne. Malheur aux vaincus.
Nous demandons donc un protectionnisme bien compris, seul garant du libre jeu de la concurrence. Nous sommes persuadés de votre bonne foi et partageons votre objectif. Mais nous ne croyons pas en votre règle du jeu qui ne fait que renforcer les positions acquises. Le journaliste Eric Le Boucher lécrivait récemment : « notre problème nest pas le capitalisme, mais le capitalisme corporatiste du continent européen, qui défend les positions acquises et bloque cette évolution vers la société de réalisation personnelle». Nous voulons dune Europe où il suffise dêtre le meilleur pour gagner.
Veuillez agréer, Monsieur le Commissaire, lassurance de notre considération distinguée.
Emmanuel Leprince Président de la Fédération européenne des PME de haute technologie |