Dans le contexte actuel de hausse exceptionnelle du prix des matières premières, le 15 septembre 2022, le Conseil d’Etat a rendu un avis au gouvernement sur les possibilités de modification des clauses financières des contrats et l’application de la théorie de l’imprévision.
Cet avis tant attendu par les acheteurs publics et opérateurs économiques apportent certaines précisions non négligeables quant aux leviers juridiques permettant la modification des contrats.
Code de la commande publique et modifications des clauses financières
S’agissant des marchés publics, le Conseil d’Etat renvoie à l’article R.2194-5 combiné à l’article R.2194-8 du code de la commande publique. En somme, le marché conclu entre un acheteur et une ou plusieurs entreprises peut être modifié lorsque la modification est rendue nécessaire par des circonstances qu'un acheteur diligent ne pouvait pas prévoir. Ce changement peut intervenir en outre au niveau du financement. Mais il reste fortement encadré par les articles R.2194-2 et suivants du même code, à savoir :
Le montant de la modification ne peut être supérieur à 50 % du montant du marché initial.
Le calcul du montant doit tenir compte de de la mise en œuvre de la clause de variation des prix.
Le marché peut être modifié sans nouvelle procédure lorsque le montant de la modification est inférieur aux seuils européens et à 10 % du montant du marché initial pour les marchés de services et de fournitures ou à 15 % du montant du marché initial pour les marchés de travaux.
S’agissant des contrats de concessions, la règle est la même que pour les marchés publics avec quelques nuances. Selon l’article R.3135-5 du code de la commande publique, le contrat de concession peut être modifié lorsque la modification est rendue nécessaire par des circonstances qu' une autorité concédante diligente ne pouvait pas prévoir.
Lorsque le contrat de concession est conclu par un pouvoir adjudicateur, le montant de la modification ne peut être supérieur à 50 % du montant du contrat de concession initial. Ainsi, pour les modifications de faibles montant le contrat de concession peut être modifié de manière substantielle lorsqu'il est inférieur au seuil européen et à 10 % du montant du contrat de concession initial.
L’utilisation de la théorie de l’imprévision
Dans son avis, le Conseil d’Etat préconise en dernier lieu l’utilisation de la théorie de l’imprévision. En outre, cette théorie s’inspire de l’idée de continuité du service public.
Pour la comprendre, nous devons ici rappeler l’arrêt « compagnie général du gaz de Bordeaux » du Conseil d’Etat du 30 mars 1916 : le problème était lié à une augmentation du prix du gaz à cause du faible approvisionnement.
Selon le Conseil d’Etat, en principe le contrat de concession de service public règle d’une façon définitive, jusqu’à son expiration, les obligations respectives du concessionnaire et du concédant. Sauf que la variation du prix des matières premières, ici le charbon, à raison des circonstances économiques, constituait un aléa du marché. Chacune des parties est réputée avoir tenu compte de cet aléa dans les calculs et prévisions qu’elle a fait avant de s’engager.
Mais, à cause de l’occupation de la plus grande partie des régions productrices de charbon par l'Allemagne et de la difficulté de plus en plus considérable des transports par la mer, la hausse survenue dans le prix du charbon s’est trouvée atteindre une proportion telle que, non seulement elle avait un caractère exceptionnel, mais qu’elle entrainait dans le coût de la fabrication du gaz une forte augmentation. L’économie du contrat se trouvait bouleversée. Il ne s’agissait donc plus d’un aléa ordinaire de l’entreprise, mais il importait de rechercher une solution qui tienne compte à la fois de l’intérêt général, et des conditions spéciales qui ne permettent pas au contrat de recevoir son application normale. Ainsi le juge s’est octroyé le droit de fixer une indemnité d’imprévision au concessionnaire.
De là est né la théorie de l’imprévision. Il incombe donc au titulaire de démontrer que l’augmentation du prix des denrées ne pouvait être raisonnablement prévisible et qu’elle a bouleversé fortement l’économie du contrat. L’opérateur pourra alors percevoir une indemnisation même si elle ne restera que temporaire (durant la période de fluctuations des prix des denrées agricoles et/ou alimentaires).